La femme n'était qu'un point improbable sur la paroi verticale de la falaise. Sans l'aide de l'expérience ou d'outils, elle progressait maladroitement le long de l'empilement de strates schisteuses à ciel ouvert. Son pourpoint de cuir bien ajusté et son pantalon en toile grossière étaient imprégnés de poussière minérale grise. Comme un insecte, elle avait pris la couleur de la falaise qu'elle escaladait. La sueur avait collé ses cheveux bruns au sommet de son crâne. Des noeuds et des boucles complexes maintenaient la longueur de sa chevelure, mais le vent en avait détaché quelques mèches, les laissant s'emmêler devant ses yeux. Elle frotta son front mince contre la roche grise. Ses mains étaient occupées.
Quelque antique cataclysme avait fendu cette montagne, faisant s'effondrer sa façade verte à son pied dans un grand tas de pierre et de terre. Loin au-dessus de la femme, la montagne était toujours coiffée de terre et de verdure. Mais la femme grimpait sur de la roche schisteuse à vif. Ce matin, elle s'était tenue dans l'entrelacs de broussailles et d'arbustes qui poussaient sur cet ancien éboulement. Elle avait levé les yeux vers la roche noire et lisse pour observer une certaine corniche à plus de trois quarts de la hauteur de la montagne. Elle avait considéré ses chances d'atteindre cette corniche et avait estimé n'en avoir aucune. Puis elle avait commencé son ascension.
Maintenant, sa main gauche était agrippée à une petite aspérité dans le schiste. Elle fit prudemment porter une partie de son poids dessus. L'aspérité se décrocha, aussi nettement que si elle avait été coupée au ciseau, et dévala la paroi de la montagne. Ki fouilla nerveusement de la main une autre fissure et s'accrocha, haletante, à la falaise. Elle savait qu'elle était proche. La corniche, faisant à peine plus qu'une bosse sur la paroi rocheuse, l'attirait aussi sûrement que le sang dans l'eau attire le requin. Elle regardait parfois par-dessus son épaule et apercevait à peine le sol de la vallée. Elle était partie aux premiers rayons de l'aube. Elle devait être tout près de son but. Elle était collée trop étroitement à la paroi pour lever les yeux. Le soleil tapait sur le sommet de sa tête. Il était monté dans le ciel plus vite que Ki n'avait grimpé la falaise. Le temps lui glissait entre les doigts, s'effritant comme la roche pourrie qu'elle escaladait.