Vous savez, Nadine, que, depuis toutes ces années, je m'interrogeais : fallait-il tenter de retrouver ma mère biologique ? Eh bien, j'ai fini par me décider. J'avais envie de vous prouver que j'avais grandi, que j'étais stable et équilibrée.
Il faut croire que ces séances me manquaient. Vous vous souvenez comme j'étais mal, les premières fois ? Je vous trouvais pourtant naturelle et drôle, pas du tout conforme à l'idée que je me faisais d'une psy. Il me suffisait d'entrer dans ce cabinet lumineux, avec cette jolie déco, et je me sentais tout de suite mieux. Il m'arrivait même de ne plus vouloir repartir, surtout au début.
Vous avez su que la partie était gagnée quand j'ai cessé de consulter, et vous ne vous êtes pas trompée. Les deux années passées ont été les plus heureuses de ma vie. C'est ce qui m'a fait croire que je pourrais tout affronter. Je me sentais forte ; rien n'aurait pu me replonger dans l'état dans lequel je me trouvais quand je suis arrivée ici, la première fois.
Et puis elle m'a menti. Je parle de ma mère biologique. Elle m'a menti au sujet de mon vrai père. Ça m'a fait le même effet qu'à l'époque où j'étais enceinte, quand Ally m'envoyait des coups de pied dans les côtes à me couper le souffle. Le pire a été de lire l'effroi dans les yeux de ma mère. Je lui faisais peur. Restait à comprendre pourquoi.
Tout a commencé il y a six semaines environ, à la fin du mois de décembre, par un article découvert sur Internet. Grâce à ma fille de six ans, je m'étais levée ridiculement tôt pour un dimanche, je buvais ma première tasse de café en répondant aux e-mails des clients dont je restaure les meubles. Ce matin-là, j'effectuais des recherches sur un bureau datant des années 1920, entre deux crises de fou rire provoquées par Ally. Tout en regardant des dessins animés, ma fille adressait des reproches à Moose, notre bouledogue tigré qui s'en prenait à son lapin en peluche. Ils étaient à mourir de rire.
Ne me demandez pas comment une pub pour du Viagra a brusquement surgi sur mon ordinateur. En voulant refermer la fenêtre, j'ai dû cliquer sur un lien quelconque. S'est alors affiché un gros titre à l'écran :
«Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l'adoption.»
Et je découvre des courriers de lecteurs rédigés à la suite d'un article publié sur le site de The Globe and Mail. Essentiellement des parents qui recherchaient leurs enfants biologiques depuis des années tout en souhaitant rester dans l'anonymat, ou alors des enfants adoptifs exprimant leur détresse affective ; les drames des portes qu'on se prend en pleine figure, mais aussi des histoires nettement plus gaies de mères et de filles, de frères et sœurs qui se retrouvent et ne se quittent plus.
J'en avais mal à la tête. Quelle serait ma réaction si je retrouvais ma mère et qu'elle me rejetait ? Si je découvrais qu'elle était morte ? Si j'apprenais l'existence de frères et de sœurs qui n'avaient jamais entendu parler de moi ?
Evan s'était levé entre-temps ; il m'a embrassée dans le cou en grognant. Un grondement emprunté à Moose, susceptible de traduire sa mauvaise humeur comme son envie de moi.
J'ai éteint l'ordinateur et fait pivoter ma chaise. Evan a haussé les sourcils en souriant.
- Encore en train de chatter avec ton petit ami ?
J'ai souri à mon tour.