Claude Lévi-Strauss, "Mythologiques", Tomes 1-3
Plon | 1964/1966/1968 | ISBN: N/A | French | PDF | 402+452+478 pages | 87.6 Mb
La science des mythes tel eût pu être le titre de ce livre, si l'auteur n'avait été ramené à des prétentions plus modestes par le sentiment que, sur la voie qu'il a essayé d'ouvrir, tout ou presque tout reste à faire avant qu'on ait le droit de parier de science véritable. Car si, comme on l'espère, la connaissance de l'homme marque ici quelques progrès, ceux-ci ne tiennent à rien d'autre qu'une attitude résolue d'humilité devant l'objet, qui, pour la première fois peut-être, a permis de prendre complètement les mythes " au sérieux ". De l'analyse scrupuleuse d'un mythe, s'amplifiant jusqu'à englober la majeure partie des mythes de l'Amérique tropicale, il résulte en effet que, même là où l'esprit humain semble le plus libre de s'abandonner à sa spontanéité créatrice, il n'existe, dans le choix qu'il fait des images, dans la manière dont il les associe, les oppose ou les enchaîne, nul désordre et nulle fantaisie. Pas plus, donc, que les sciences physiques ne peuvent ménager une place à l'arbitraire dans les oeuvres de la nature, pas plus, si l'homme doit devenir un jour objet de connaissance scientifique, il ne saurait y avoir de l'arbitraire dans les oeuvres de l'esprit. On ne se dispose pas, pour autant, à réduire la pensée au déroulement mécanique de quelques opérations abstraites, dans le produit desquelles l'homme ne se reconnaîtrait plus. Par son titre d'inspiration culinaire, ce livre se réfère aux exigences du corps, et aux rapports élémentaires que l'homme entretient avec le monde. Par sa construction musicale, qui lui donne l'allure d'un vaste oratorio dont les parties évoquent tour à tour le thème et les variations, la sonate, la fugue, la cantate et la symphonie, il rapproche les démarches de la pensée mythique de celles de la musique qui, de tous les beaux-arts, est celui qui ressemble le plus à une science, tout en étant la source d'émotions incomparables. Il ne s'agit donc pas d'appauvrir, d'exclure ou de morceler, mais, au contraire, d'intégrer tous les aspects de la connaissance de l'homme dans un effort d'élucidation qui serait condamné d'avance s'il ne procédait du respect. En sorte qu'à partir de l'opposition, triviale en apparence, du cru et du cuit, on verra d'abord se déployer la puissance logique d'une mythologie de la cuisine, conçue par des tribus sud-américaines où l'auteur a pris ses exemples parce qu'il a vécu dans leur intimité ; puis émerger certaines propriétés générales de la pensée mythique, où se trouve en germe une philosophie de la société et de l'esprit.
Ce deuxième volume, élargissant le champ de la recherche, est axé sur les mythes se rapportant au miel et au tabac. Si le miel et le tabac relèvent toujours du domaine alimentaire, ils échappent au domaine culinaire, le miel, "élaboré par des êtres non humains, les abeilles", se situant en deçà de la cuisine, puisqu'il est comestible tel quel, et le tabac constituant un au-delà de la cuisine, puisqu'il doit se consumer entièrement pour qu'on en absorbe la fumée. Il s'agit donc de l'opposition d'une infra-cuisine à une méta-cuisine. L'auteur commence par l'étude de la mythologie du miel.
S’appuyant sur un mythe de référence des indiens Tukuna (Amérique du Sud), et en citant d’autres, Claude Lévi-Strauss, dans « L’origine des manières de table », explore la mythologie dans toute sa complexité. Si l’ouvrage, comme les autres de la série qui le précédent, parle essentiellement de mythe des tribus d’Amérique latine, il y rattache aussi une autre histoire nord-américaine, qui leur ressemble, afin de mieux les expliquer. Ce n’est que dans la dernière partie du livre que l’auteur met en relation son explication de la pensée mythique à l’apparition de manières concrètes, telles que les recettes de cuisine.