Éditeur(s) : Urban Comics 2013
Auteurs : Gelatt et Crook
Encore un bon titre, passionnant, dispo en Comics et que les lecteurs de la section BD n'ont peut-être pas repéré. Ceux qui connaissent déjà passeront leur chemin, pour les autres, ça vaut le détour.
1916. L'armée russe, sous-équipée, désorganisée, subit des pertes effroyables face aux Allemands, nourrissant l'hostilité grandissante de la population envers cette guerre. Le Secret Intelligence Service britannique soupçonne la Tsarine, d'ascendance germanique, de vouloir négocier une paix séparée avec l'ennemi commun. Une telle reddition serait absolument catastrophique pour Londres, qui charge ses agents en poste à Petrograd de faire capoter l'accord. Par tous les moyens. C'est ainsi que Cleary, espion habitué à naviguer entre l aristocratie décadente de la capitale russe et les groupes révolutionnaires, se retrouve à devoir organiser l'assassinat du plus influent des conseillers du pouvoir : Grigori Raspoutine.
Ingrédient classique du récit historique, l'introduction d'un héros fictif au milieu de personnages et d'événements réels est ici bien maîtrisée, l'intrigue restant centrée sur le destin tourmenté de la ville de Petrograd. Manoeuvres politiques au sommet de l'État, moeurs dépravées de l'oligarchie régnante, misère abyssale des classes populaires, police politique omniprésente, activisme des soviets, tous les éléments sont réunis pour faire de la cité une poudrière. Venus des palais ou des bas-fonds, des officines consulaires comme des campements tziganes, tous les avatars de l'Histoire en marche trouvent place sous la plume des auteurs, qui dressent ainsi l'édifiant portrait de l'empire tsariste à la veille de la révolution de 17.
La couverture de l'album, en présentant tête-bêche le très illustre prédicateur et le très anonyme agent, tels des figures de carte à jouer, annonce bien l'angle retenu pour cette chronique : fussent-ils célèbres ou inconnus, les acteurs du drame semblent avant tout les jouets du destin. D'où probablement cette relative froideur qui prévaut dans le traitement des protagonistes, Cleary lui-même ne suscitant que peu de sympathie.
Démarquant la minutieuse reconstitution narrative des faits, le dessinateur s'est également attaché à retranscrire fidèlement les lieux et l'atmosphère de Petrograd dans cet interminable hiver. Encrant ses planches d�un pinceau très expressif, expressionniste parfois, Tyler Crook brosse un portrait réaliste et marquant de la société russe, insufflant une dimension affective supplémentaire par sa mise en couleur, toute d'aquarelles rougeoyantes et sanglantes. Un choix esthétique qui prend tout son sens dans la longue et paroxysmique scène du meurtre du staretz Grigori, véritable morceau de bravoure de l'ouvrage.