Craig Johnson - Enfants de poussière
Absaroka, dans le Wyoming, est le comté le moins peuplé de l'État le moins peuplé d'Amérique, aussi y découvrir le corps d'une jeune Asiatique étranglée est plus que déconcertant. Le coupable paraît tout désigné quand on trouve, à proximité de la victime, un colosse indien frappé de mutisme en possession du sac à main de la jeune femme. Mais le shérif Walt Longmire n'est pas du genre à boucler son enquête à la va-vite. D'autant que le sac de la victime contient une vieille photo de Walt prise quarante ans plus tôt, et qui le renvoie à ses souvenirs de la guerre du Vietnam.
Enfants de poussière entremêle passé et présent au gré de deux enquêtes dont les échos inattendus nous entraînent à un rythme haletant des boîtes de nuit de Saïgon aux villes fantômes du Wyoming.
Alternant les époques et les énigmes, Johnson signe un thriller remarquable dans un Wyoming rempli de revenants.
Extrait:
"- Encore deux.
Cady me regarda sans rien dire.
C'était la même phrase depuis une semaine. Nous avions atteint un plateau, et elle était satisfaite des progrès qu'elle avait accomplis. Pas moi. Le kinésithérapeute de l'hôpital de l'université de Pennsylvanie, à Philadelphie, m'avait prévenu que cela pouvait arriver. La raison n'était pas que ma fille était faible ou paresseuse; c'était bien pire que cela, elle s'ennuyait.
- Encore deux...
- J'ai entendu... (Elle tira sur son short, évitant soigneusement mon regard.) Ta voix porte loin.
Je calai un coude sur mon genou, le menton sur mon poing, pris mes aises sur le banc de musculation et jetai un coup d'oeil autour de nous. Personne d'autre. Sauf un gamin vêtu d'un T-shirt avec le logo du Durant Qyarterback Club qui essayait de donner du relief à ses soixante-cinq kilos sur une des machines Universal. Je ne voyais pas bien pourquoi il était monté ici - il n'y avait aucun écran de télé, et le matériel n'était pas aussi sophistiqué que celui de la salle principale, en bas. Je comprenais le fonctionnement de toutes les machines à cet étage - aucune d'entre elles n'était électrique -, mais sa présence m'intriguait. Peut-être était-il là à cause de Cady.
- Encore deux.
- Va te faire voir.
Le gamin rit sous cape et je me tournai vers lui. Je revins à ma fille. C'était une bonne chose; parfois, la colère lui faisait terminer la séance, même si cela me coûtait le plaisir de la conversation pendant toute la soirée qui suivait. Mais ce soir, peu importait, car elle sortait dîner, puis elle devait rentrer pour un important rendez-vous téléphonique. Moi, je n'avais rien de prévu. J'avais tout le temps du monde.
Elle avait coupé court ses cheveux auburn pour rendre plus discret l'endroit où ils avaient effectué l'incision en U qui avait permis à son cerveau traumatisé de survivre. Seule une petite cicatrice était visible à la racine des cheveux. Elle était belle, et le plus casse-pieds là-dedans, c'était qu'elle le savait.
Cela lui permettait d'obtenir à peu près tout ce qu'elle voulait. La beauté, c'est le télépéage de la vie. Moi, j'avais la chance de pouvoir emprunter la bande d'arrêt d'urgence.
- Encore deux.
Elle attrapa sa bouteille d'eau, la pressa pour en faire sortir une gorgée et posa son regard froid sur moi. Nous restâmes là, à nous fixer, tous les deux vêtus de gris. Elle tendit la main et attrapa l'encolure de mon T-shirt du bout de son index pour la tirer sur le côté. Son ongle suivit le contour de ma clavicule.
- Et celle-ci ?
Ce n'était pas parce qu'elle était belle qu'elle n'était pas intelligente. La diversion était une autre de ses tactiques favorites. J'avais assez de cicatrices pour distraire la première division de marines au grand complet. Elle connaissait l'existence de celle-ci et l'avait vue de multiples fois. Sa question était symptomatique de la perte de mémoire dont avait parlé le Dr Rissman."