Paolo Bacigalupi - Les cités englouties
Mouse et Mahlia, deux adolescents orphelins recueillis par un vieux médecin, vivent dans un monde chaotique où la guerre est omniprésente. Mis à l'écart par les villageois en raison de leur origine, leur amitié les protège. Au cours d'une exploration, ils rencontrent Tool, l'homme génétiquement modifié pour la guerre découvert dans Ferrailleurs des mers, mercenaire aujourd'hui fugitif, réfugié dans la jungle. Avec lui, nos deux jeunes héros vont se trouver devant le choix, crucial chez Bacigalupi, entre se sauver soi-même ou sauver la vie de qui vous a sauvé la vie. Et ce choix entre égoïsme et altruisme, individualisme ou humanisme, va bien sûr conditionner leur destin et leurs ambitions. Comme dans Ferrailleurs des mers, Bacigalupi brosse le portrait d'un futur sombre, ici une Amérique basculant dans la guerre civile où les enfants sont transformés en machines à tuer, pour mieux emporter ses héros dans une puissante histoire de loyauté, de survie, et finalement, de valeurs humaines. Magnifique !
Extrait :
"Les chaînes tintaient dans la pénombre des cellules de rétention. La puanteur de l'urine, les miasmes de la sueur et de la peur se mélangeaient avec les relents douceâtres de la paille pourrissante. De l'eau gouttait le long des parois en marbre, les noircissant de mousses et d'algues. L'humidité et la chaleur. L'odeur de la mer, lointaine, un parfum cruel rappelant aux prisonniers qu'ils ne goûteraient plus jamais à la liberté. Parfois, un détenu, chrétien hauturier ou dévot du Saint de la rouille, élevait la voix, priait, mais la plupart des captifs attendaient en silence, préservaient leur énergie. Un cliquetis de ferraille à l'extérieur leur annonça que quelqu'un approchait. Le bruit de nombreuses bottes. Quelques prisonniers levèrent les yeux, surpris. Ils n'entendaient aucune foule en liesse, aucun soldat qui appelait au sang. Pourtant, on ouvrait la porte de la prison. Mystère. Ils attendirent, avec l'espoir que ce mystère ne les concerne pas. L'espoir de survivre un jour de plus. Les gardes entrèrent en groupe pour se donner du courage, se poussèrent en avant les uns les autres jusqu'à la dernière cellule rouillée. Plusieurs avaient des pistolets. Un autre brandissait une matraque électrique qui crépitait d'étincelles, un outil de dresseur, même s'il n'en avait pas la maîtrise. Tous puaient la peur. Le préposé aux clés jeta un coup d'oeil entre les barreaux. À première vue, ce n'était qu'une cellule comme les autres, sombre et étouffante, jonchée de paille moisie, mais, dans le fond, il y avait autre chose. Une énorme flaque d'ombre.
- Debout, Face de chien, dit le portier. On t'attend. Il n'y eut pas de réponse.
- Debout !
Toujours pas de réponse. Dans la cellule voisine, quelqu'un toussa grassement, symptôme de tuberculose. L'un des gardes marmonna :
- Il est mort. Enfin. Il est forcément mort.
- Non, ces choses ne meurent jamais. (Le portier sortit sa matraque et cogna les barreaux d'acier.) Lève-toi, maintenant, ou ce sera pire. On va se servir de l'électricité, et on va voir si tu aimes ça.
La chose dans le recoin ne broncha pas. Aucun signe de vie. Les minutes passèrent. Finalement, un garde annonça :
- Il ne respire pas."