Les créateurs ont-ils le droit d'engloutir et de désespérer tous ceux qui les approchent ? Celle qui pose cette question difficile s'appelle Marina Picasso. Petite-fille du génie. Fille de Paulo, décédé. Soeur de Pablito, mort en avalant une dose d'eau de javel. L'art est souvent étroitement mêlé à la mort. Quelle autre oeuvre que celle de Picasso illustre aussi bien cette union douloureuse ? Quel talent - aussi immense fut-il - peut justifier autant de blessures, de tragédies intimes ? L'émotion du récit de Marina se situe là, dans ces contours obscurs où l'art se situe : entre égocentrisme profond et humanisme, réflexe naturel pour certains, complètement étranger pour d'autres. Quatorze ans d'analyse auront aider la petite fille qu'elle fût à vivre avec le monstre génial, l'homme des corridas, à la sexualité exacerbée, au talent dévorant, voire meurtrier. Qui n'hésita pas à laisser sa famille dans la misère, à quelques kilomètres de sa propriété, préférant s'isoler avec sa dernière femme, Jacqueline. Quatorze ans pour comprendre la faiblesse de son propre père, avalé par le maître Picasso qui lui disait "Tu es médiocre et tu resteras médiocre" : comment alors parvenir, pour Paulo, à exister, à assumer, à aimer ? Quatorze ans aussi pour accepter la folie hystérique de sa mère ne vivant que par rapport à son beau-père mythique. Quatorze ans pour s'arroger le droit de vivre, malgré la disparition de son frère chéri, ce double pour qui la vie n'avait plus de goût. Marina est revenue de ces épreuves. Avec une pudeur immense, un recul dû à des années d'analyse et une générosité désintéressée, elle livre la vie d'une Picasso. Son action en faveur des orphelins au Vietnam achève de prouver qu'elle a aussi un prénom. Marina. Un monstre... d'humanisme. Belle revanche !