Un cimetière sur une colline dominant la rivière Spoon ; un éparpillement de pierres tombales porteuses d'épitaphes, par lesquelles les morts parlent et se répondent. Forgerons, lunetiers, dentistes, prêcheurs et pasteurs, poétesses délicates, cocottes mondaines, entrepreneurs de presse, rescapés de grandes expéditions guerrières, tricheurs, poivrots, fermiers pauvres et riches, spoliateurs et spoliés, maris trahis et femmes trompées.
Masters ne s'en est jamais caché : l'idée est imitée de la fameuse Anthologie grecque. Mais le décor est cette fois précisément planté : l'Amérique à la charnière du 19ème et 20ème siècle - l'ère des pionniers se termine, les affaires commencent. Masters en est le chantre désenchanté.
C'est consécutivement à la lecture en 1909 des épigrammes de l'Anthologie grecque, qu'Edgar Lee Masters eut l'idée de composer cet ouvrage étrange et vénéneux, paru en 1915 et mettant en scène les habitants disparus de Spoon River, village issu de la fusion imaginaire de Lewistown et de Petersburg, bourgades de l'Illinois. On retrouve dans le ton étrange de ces épitaphes les influences conjointes de Poe et de Whitman. L'Anthologie de Spoon River surprend par son mélange d'ironie et d'humanité, mettant en lumière les contradictions entre la moralité officielle affichée de leur vivant par les villageois décédés et leurs véritables aspirations. L'amertume et la frustration, le regret du non-vécu et les espoirs déçus qui sont exprimés ici, donnent à cet ouvrage une sonorité étonnamment critique de l'hypocrisie constitutive du puritanisme "à l'américaine". Mais c'est tout le talent d'Edgar Lee Masters d'avoir pour se faire, trouvé une forme poétique, adéquate à ces discours « d'outre-tombe » empreints de mélancolie.