Le bonheur. Un mot souvent galvaudé, employé à temps et à contretemps, dans les circonstances les plus nobles comme les plus futiles. Un mot usé, un mot qui se traîne, depuis que l'homme est homme et qu'il ne cesse d'être hanté par la réalité qu'il recouvre. Un mot, pourtant, qui, aujourd'hui encore, n'a pas de synonyme, tant son contenu est bien spécifique et sa réalité multiforme. Le bonheur n'est pas le plaisir. Il n'est pas la joie. Il est la paix du coeur.
Il est frappant de voir que notre époque, pourtant si matérialiste à bien des égards et si gourmande, en apparence, d'immédiateté, manifeste un intérêt accru pour le bonheur. Dans la rubrique prêt-à-penser, guides et recettes se bousculent parfois sur les étals des libraires, laissant penser que le bonheur pourrait s'atteindre à coup de maximes ou d'aphorismes. Illusion, bien sûr. Le bonheur ne se vend pas. Il ne s'achète pas. Il se vit. Plante rare - et donc fragile - , il ne vit et prospère que sur le terreau de la beauté, de la bonté, de la vérité.
Ainsi se dessine une véritable anthropologie du bonheur, fondée sur la volonté humaine. Le bonheur se mérite et se conquiert. L'homme n'est pas voué, une fois pour toutes, à la souffrance et à l'épreuve. Par un effort de sa volonté, ses limites, loin de l'emmurer, peuvent être salvatrices.
Le mur du repli sur soi devient alors brèche et réceptacle de lumière. L'expérience le montre : la vie de l'homme n'est pas impasse mais chemin. Chemin rugueux sans doute, chemin sinueux, mais chemin exaltant vers les cimes toujours vierges du dépassement de soi. Plus qu'un chemin, le bonheur est un cheminement sans fin.
Bernard Chochon est professeur honoraire de littérature française à l'Université catholique de l'Ouest (Angers). Spécialiste de l'oeuvre de François Mauriac auquel il a consacré plusieurs ouvrages, il se montre également attentif aux questions touchant le symbolisme et manifeste un intérêt particulier pour l'univers de Francis Jammes, de Jean Giraudoux et de Julien Gracq.