Il ne se passe apparemment pas beaucoup de choses dans Un rude hiver : un réactionnaire plein de rancœurs va déjeuner chez son frère, se promène au bord de la mer avec une Anglaise en uniforme, et emmène au cinéma deux enfants qu'il a rencontrés dans un tramway. La première fois, je me suis émerveillé de cette histoire tranquille en me demandant comment elle faisait pour m'émouvoir. Depuis, à chaque relecture, je découvre un détail auquel je n'avais pas prêté attention : par exemple, que la date fatidique de l'incendie des Grandes Galeries Normandes coïncide avec la date de naissance de Raymond Queneau : Je naquis au Havre un vingt-et-un février en mil neuf cent et trois. Ou bien que Lehameau ressemble beaucoup au père de Queneau : Il s'abonnait aux journaux suisses pour lire les communiqués allemands... (Chêne et Chien) " Et de plus il lisait les communiqués allemands dans le Journal de Genève auquel il était abonné" Ou encore que, puisque Miss Weeds s'appelle en français Mlle Chiendent, il est juste que Lehameau s'appelle en anglais Hamlet, et que d'ailleurs il y a dans Un rude hiver un spectre (le fils de Mme Dutertre), deux fossoyeurs (lorsque Lehameau va sur la tombe de sa femme) et même un rat (M. Frédéric est appelé ainsi p. 135) derrière une tenture (c'est-à-dire dans l'arrière-boutique de la librairie). Aucune de ces découvertes n'est vraiment originale ; la plupart de ceux qui ont écrit sur Queneau - Bens, Gayot, Queval, Simonnet - les avaient déjà faites : mais, de surprise en surprise, de découverte en découverte, Un rude hiver, pour moi, s'achemine doucement vers l'inépuisable.