Rose bonbon aura constitué le petit scandale littéraire de la rentrée 2002. L'ouvrage de Nicolas Jones-Gorlin est désormais vendu sous emballage plastique avec, en guise de publicité, un avertissement destiné au lecteur l'enjoignant "de se faire une opinion sur ce livre" et "d'en conseiller ou d'en déconseiller la lecture"...
Simon est pédophile. Il le sait, en souffre, mais n'est pas de taille à lutter seul contre ses pulsions. Pleinement conscient de ses travers, il se rend dans une salle de cinéma, fond littéralement pour Dorothée, une petite fille de huit ans. En sortant, il aborde la mère et l'enfant avant de les inviter chez un glacier. Simon accompagne la fillette aux toilettes, se fait surprendre par la mère, qu'il frappe pour qu'elle se taise. La police arrête Simon auquel un psychiatre propose de suivre un traitement en échange de sa liberté. Il accepte. Tout, sauf aller au prison... Durant sa thérapie, il rencontre le Vieux, riche et influent pédophile. Simon a enfin trouvé un mentor sur qui il peut compter, avec qui il peut parler sans crainte de sa passion pour les "anges". Le Vieux reprend la destinée de Simon en main. Pas difficile, par les temps qui courent, de fabriquer une vedette... Simon, sous le nom de Dany King, devient le chanteur vedette d'une comédie musicale basée sur l'histoire de Peter Pan et se transforme en nouvelle idole des enfants. Le jour où il croise Rose, la jeune nièce du Vieux, tout dérape...
Visiblement, Nicolas Jones-Gorlin a apprécié Lolita et American Psycho. Le mélange des genres, petites filles en socquettes blanches et tueur en série, aboutit à ce roman centré sur les travers sexuels d'un pédophile de 30 ans, sorte de "sexual killer" sans scrupules. De chapitre en chapitre, le narrateur nous emmène dans une longue marche vers l'horreur, où les pédophiles se reconnaissent, se côtoient et s'affichent en public. On joue dans le registre du lugubre et de l'infâme. Les attouchements d'abord, l'acte ensuite, le meurtre enfin.
On doute...
Comment interpréter cet exercice de style ?
S'agit-il de choquer ?
D'analyser le processus de pensée d'un être réprouvé par la société ?
De céder à une mode littéraire ?
De faire dans la surenchère gratuite ?
Le style du roman, mélange hybride de néologismes, de monologues intérieurs et d'anglicismes, ne dessert en rien le sujet. L'auteur utilise un ton juste, malgré la désagréable impression qu'il tourne parfois en rond. L'enchaînement et l'accumulation de certaines scènes, pas toujours très crédibles, ne font rien pour atténuer ces lourdeurs.
La répulsion envers le personnage de Simon est légitime. Qui pourrait s'identifier à ce pervers sans état d'âme ? Il en est ainsi pour de nombreux romans. Le Bateman d'American Psycho ou le Michel de Plateforme n'ont rien de sympathique. On les déteste car ils sont infects et qu'ils incarnent une réalité qu'il est plus facile d'ignorer. Du coup, l'amalgame devient facile. On déteste l'écrivain qui leur a donné vie et qui nous promène dans leurs univers sordides. Aucun doute, derrière le personnage répugnant se dissimule le romancier. La boucle est bouclée. Évidemment, de telles conclusions sont aussi ineptes qu'hasardeuses. Voir, dans le narrateur de Rose bonbon, la retranscription littérale des fantasmes ou des actes de son auteur pose un réel problème et met en danger la notion même de littérature. Au lecteur, donc, "de se faire une opinion sur ce livre".