Dans sa préface à la première édition allemande du Capital, parue à Londres en juillet 1867, Marx écrivait que le « but final de cet ouvrage est de dévoiler la loi économique du mouvement de la société moderne ». Il s'agissait donc très clairement, dans son esprit, d'armer intellectuellement les travailleurs de son époque contre les nouvelles nuisances, servitudes et aliénations d'un système social et économique lui-même entièrement nouveau (sans quoi il se serait probablement contenté d'écrire un ouvrage intitulé L'Alliance du trône et de l'autel ou, plus sobrement, La Réaction).
On comprend alors que Marx n'ait jamais songé une seule fois - pas plus, d'ailleurs, que les autres grands socialistes et anarchistes du XIXe siècle - à inscrire ses combats politiques sous le signe de la « gauche », fût-elle une gauche « radicale » ou une « gauche de gauche ». Ce qui traduit le mieux, en effet, l'esprit constant de cette dernière, c'est, avant tout, le célèbre mot d'ordre de Mai 68 : « Cours plus vite, camarade, le vieux monde est derrière toi ! » ( « vieux monde » dans lequel - ironisait Orwell - l'homme de gauche « progressiste » pourra tout aussi bien inclure « la guerre, le nationalisme, la religion et la monarchie » que « les paysans, les professeurs de grec, les poètes et les chevaux1 » ). Or il est clair que la véritable maxime socialiste (nous verrons plus loin ce que recouvre exactement ce terme ) devrait bien plutôt être, au contraire : « Cours moins vite, camarade, le nouveau monde - celui du réchauffement climatique, de Goldman Sachs et de la Silicon Valley - est devant toi ! ».
En choisissant pour titre de cet essai Notre ennemi, le capital, j'ai donc simplement voulu rappeler la nécessité, et l'urgence, d'en revenir au trésor perdu de la critique socialiste originelle, convaincu qu'à l'heure de la mondialisation et du libéralisme triomphant, c'est bien d'abord la poursuite continuelle et insensée de la quête du profit capitaliste qui menace de détruire, à terme, la nature et l'humanité.
Le point de départ de ce petit livre est un entretien accordé au jeune site socialiste et décroissant Le Comptoir et rédigé en janvier et février 2016. Il est reproduit ici sans aucune modification. Les notes qui accompagnent cet entretien - ainsi que les « scolies » qui lui font suite - ont été écrites, quant à elles, entre mars et août 2016. Le lecteur ne doit pas s'inquiéter de la structure arborescente qui en est la conséquence naturelle ( structure qui rend possible, c'est du moins toujours mon sentiment, un mode d'exposition plus « dialectique » - ou, si l'on préfère une formule plus jeune, « en 3D » ).
De fait, ces « scolies » ont d'abord été construites pour pouvoir être lues comme autant de chapitres indépendants et selon un ordre linéaire ( notes des scolies comprises ). Nul besoin par conséquent que le lecteur change quoi que ce soit à sa manière habituelle de lire et qu'il s'égare ainsi dans d'inutiles va-et-vient entre le texte principal et les notes qui l'étoffent ou le prolongent. Je remercie évidemment toute l'équipe du site Le Comptoir - et tout particulièrement, Kevin Victoire et Mikaël Faujour - pour leur initiative et leur collaboration.