"À Paris, Richelieu fit venir son luthiste et lui demanda d'interpréter la chaconne intitulée Le Dernier Royaume. Puis il joua les Ombres qui errent, pièce dont François Couperin reprit le thème principal sous le nom Ombres errantes dans son dernier livre pour clavecin."
Tel le claveciniste modelant sous ses doigts cet ailleurs sur lequel la société n'aurait pas de prises, Pascal Quignard nous propose un nouveau chant baroque en trois temps, que l'on peut lire dans l'ordre que l'on souhaite. Trois textes aux sujets transversaux et aux courts chapitres qui nous livrent de manière assez curieuse un Quignard interplanétaire. Un Ancien capable d'évoquer tout aussi bien la complainte du Jadis, brumeux et aquatique, bordant le temps comme l'être, que les bombes japonaises larguées sur Pearl Harbour. C'est que le Dernier royaume sous l'égide duquel se regroupent ces Ombres errantes, Sur le Jadis et Abîmes est toujours davantage grignoté par l'aura ombrée de ce qui fait obstacle à cette lumière ("phôs") où les Grecs enracinaient aussi le croître ("phuein"). Le propre de l'ombre réside il est vrai dans sa duplicité, parce que si c'est sous son aile que les premiers hommes se construisirent, si c'est elle que cherche encore en mourant le dernier roi des Romains, c'est aussi à l'ombre des tours que grandit le terrorisme, à l'ombre des regards que se monnaye au quotidien la dissolution de la conscience de soi. Malgré tout, Quignard, pénétré des sages chinois ou des brahmanes qu'il convoque, demeure optimiste. Moment du retrait, occasion du repli, l'ombre reste ce dont tout peut advenir, ce qui met en suspens le monde marchandise où l'image à tout crin et le bruit ont désormais recouvert ces voix du silence qui sont la vraie parole.