Sur la fin de sa vie, Évariste veut entreprendre une vaste action de barrage aux religions, sectes et autres endoctrineurs, qui profitent de la faiblesse des hommes et de leur peur de la mort et du lendemain. Mais certains événements lui font comprendre que c'est d'abord dangereux et ensuite inutile : la société étant faite d'équilibres fragiles qu'il n'est pas bon de chambouler !
"Évariste se sent tomber au fond d'un gouffre. Il a lâché, dans cette pente boueuse, le dernier brin d'herbe, redevenu arbuste l'espace d'un repas, auquel il se raccrochait de toutes ses forces. Forces qui viennent de l'abandonner d'un coup au long de sa chute tourbillonnante où des lumières et des trous noirs s'entremêlent comme dans un stroboscope en forme d'entonnoir. Sans rien ajouter il se lève, domine Sandra un instant. Le regard de celle-ci est à nouveau perdu vers les Pyrénées. Ses mains sont nouées sur sa poitrine creusée en conque. Puis il tourne les talons et s'en va, lentement, contourne la maison et, avant la grange, se met à gravir la montagne qui est derrière, et d'où est venu le cataclysme qui les a emportés il y a si longtemps, il y a douze mois maintenant. Quand il revient, la nuit est tombée depuis des heures. Le moulin, trapu et noir, a l'air hostile et distant. La vaisselle, dans le même état, encombre l'évier. La chambre est vide. Toute la maison est vide, et le fait d'en allumer toutes les lumières ne lui donne pas un brin de vie. Mutine n'est plus dans la grange. Un mot de Sandra sur la table du coin salon. Il l'a repéré depuis longtemps, comme un signal, mais il retarde le moment de savoir, car il sait déjà. « Je vais chercher mon bébé. J'ai pas besoin de toi pour cela. Au contraire, c'est mieux si je suis seule. Je t'aime, je crois. Ta Sandra. » La chute vertigineuse s'accélère en tournant comme une hélice. Ou plutôt c'est Évariste qui est devenu une sorte d'hélice, comme ces graines à grandes ailes qui n'en finissent pas de tomber pour peu qu'il y ait du vent. Un vent de maladie et de mort. "