« Je ne suis rien / Jamais je ne serai rien. / Je ne puis vouloir être rien. / Cela dit, je porte en moi tous les rêves du monde. »
Un homme à sa fenêtre regarde le bureau de tabac d'en face et c'est déjà tout le désarroi de la vie qui nous saute au visage.
Cet homme c'est Alvaro de Campos, l'un des nombreux hétéronymes dont s'est servi le grand poète et homme de lettres portugais Fernando Pessoa (1888-1935) pour bâtir une oeuvre gigantesque, complexe et multiple.
« Les hétéronymes littéraires auront une telle force dans l'oeuvre de Pessoa, ils seront à l'origine d'une création littéraire si unique que l'auteur leur trouvera même à chacun une biographie justifiant leurs différences. »
Alvaro de Campos est un ingénieur en mécanique ; être tourmenté, solitaire et paradoxal, il est l'incarnation de l'homme moderne désillusionné dans l'oeuvre de Pessoa.
Mille pensées l'assaillent, l'accablent, l'agressent, le rongent.
Sa vision du monde, entre désir de rêve et réalité, sa lucidité, franche et désenchantée sur le monde et sur sa propre condition, ses remarques moroses, ses opinions saturniennes. s'égrènent au fil d'une poésie trouble, triste et fascinante, dont l'envoûtement joue sur des registres émotionnels entre ombre et lumière, entre feu et air, entre souffle chaud et fluide glacial, comme une caresse après les coups.
Des mots, tout simples, puissants comme un tourment, jetés en pâture avec la force « intranquille » du poète, dans le vide sidéral de nos destinées, dans le gouffre sans fond de notre vacuité existentielle.