Durant les années et les décennies qui ont suivi l'échec du mouvement patriote et l'adoption de l'Acte d'Union, aucun chef canadien-français ne s'est levé un matin pour annoncer les débuts de « l'hiver de la survivance », selon l'expression de Fernand Dumont. Malgré les villages brûlés et l'exil des principaux dirigeants du parti Patriote, malgré les procès truqués et les pendaisons injustifiées, la vie quotidienne de ce peuple de plus de 600 000 âmes reprenait son cours.
Ce n'est que beaucoup plus tard qu'historiens et intellectuels auront recours au concept de survivance pour résumer plus d'un siècle d'histoire. Or, si pour Lionel Groulx la survivance était en tout point admirable, car elle témoignait d'un entêtement, d'une volonté tenace de durer, certains intellectuels issus de la Révolution tranquille reprendront le concept, souvent dans le but de déprécier les acteurs et les intellectuels canadiens-français du XIXe siècle.
Mais cette survivance, de quoi est-elle faite ? Comment se manifeste-t-elle concrètement ?
Dans cet essai, qu'on peut lire comme une suite des Réformistes (Boréal, 2009), Éric Bédard propose quatre jalons de la survivance. D'abord, on produit un récit sur soi : pour survivre, il fallait se raconter. Ensuite, on combat l'infériorité économique des Canadiens français - véritable obsession pour une partie de l'élite. Puis, on éclipse la question du régime, c'est-à-dire le type d'institutions qui régit la société autant que la décision d'exercer son droit à l'autodétermination. Enfin, on fait la promotion d'un messianisme compensatoire, de cette idée selon laquelle les Canadiens français sont investis d'une « vocation spirituelle » en Amérique.
Se réfugier dans l'imaginaire ou n'accorder d'importance qu'aux « vraies affaires », ne pas s'autoriser à mettre en cause le régime qui nous régit mais se croire plus vertueux que les autres, n'est-ce pas un peu ce à quoi ressemble le Québec d'aujourd'hui ? se demande Éric Bédard. Assistons-nous, depuis 1995, au retour de la survivance ?