« L'abatteur éprouvait un malaise que même la bière qu'il engloutissait maintenant ne parvenait pas à apaiser. Il ne souffrait pas à cause de ses blessures - la douleur physique ne l'avait jamais beaucoup affecté -, non, il souffrait de s'apercevoir qu'il avait subi trois défaites humiliantes dans le même après-midi. Il avait dû payer pour une femme (son camarade avait payé pour lui, mais ça ne changeait rien), il s'était fait sérieusement amocher dans une bagarre et il avait regardé une fille nue en sachant qu'il ne pouvait rien lui faire. Il en résultait un déséquilibre certain ; la seule manière de redresser la balance était de démolir quelqu'un. » Que s'est-il passé le samedi 17 juin au Calpe, l'hôtel-bar-discothèque, où viennent s'amuser les jeunes Australiens ? Par quel enchaînement en est-on arrivé à ce « tableau d'ignominie, d'effroi et de confusion » décrit par le procureur ? Les frustrations de John Verdon, après une dure semaine de travail aux abattoirs, ont sans doute pesé lourd. Mais il n'est pas le seul à s'être laissé entraîner par ses pulsions vers l'issue fatale. Il fallait tout l'art de Kenneth Cook (1929-1987) pour bâtir ce roman aussi dense qu'efficace, où de courts extraits du procès mettent en perspective les trajectoires des principaux protagonistes jusqu'au dénouement final. Sous le sobre énoncé des faits transparaissent ici, comme dans Cinq matins de trop (Autrement, 2005), des interrogations aux résonances profondes. Ni relation d'un quelconque fait divers ni roman tout à fait noir, À coups redoublés met brillamment en question la responsabilité d'individus ordinaires poussés à tous les dérapages.