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Saki fait partie de la vaste galaxie des auteurs anglais dont on entend plus parler qu'on n'en trouve des traductions en français. Né en 1870 en Birmanie, mort au front en France quarante-six plus tard, il a connu une belle carrière de journaliste sous son véritable nom (Hector Hugh Munro) avant de, un pseudonyme choisi, se mettre tardivement à la nouvelle, vers 1908, et d'écrire un unique roman en 1912, L'Insupportable Bassington.
Ce roman aussi bref qu'efficace raconte les mésaventures sociales de Francesca Bassington, haute bourgeoise collet monté, et son fils Comus, espèce de catastrophe sociale ambulante égocentrique à un point tel qu'on finit par l'apprécier - puis le regretter. Au travers de leur histoire, qui finit sans véritable morale, sur une pointe de tristesse à l'anglaise - c'est-à-dire empreinte d'une douce ironie - , c'est à une satire de la bonne société anglaise de l'époque que se livre Saki. En ce sens, il préfigure l'œuvre d'Evelyn Waugh, pour la férocité dans le rire, et est bien le contemporain de celle de P.G. Wodehouse, pour le petit côté Downton Abbey sous ecstacy qu'a parfois son récit.
En effet, dans cette bonne société, jamais un mot n'est déplacé, on rêve à la permanence, à l'immuabilité de toute chose (voir le rapport quasi psychotique qu'a Francesca à son salon), on veille aux coutumes et bonnes manières, on cherche à faire le mariage le plus convenable (comprendre : avec le meilleur rapport standing/argent), et on se livre surtout à d'impitoyables joutes oratoires (Lady Caroline Benaresq a le sens de la répartie qui peut tuer une réputation) en s'assassinant au bridge. On y fait aussi de la politique, caricaturale, entre un jeune loup mordant le gouvernement sans rien proposer d'intéressant, mais ses morsures font parler de lui, et un vieux briscard qui adore s'entendre discourir mais dont les propos sont d'un creux sidérant : on y parle donc de l'Empire et du paupérisme, sans rien y changer. Et tout cela fait sourire le lecteur par l'humour subtil avec lequel est écrite cette histoire dont chaque chapitre semble un mini-nouvelle à elle seule, tant y est monté en épingle un aspect spécifique de cette bonne société anglais d'avant-guerre.
Un seul personnage, apparaissant au milieu du roman pour aussitôt être oublié, semble échapper aux agaceries de Saki : un aventurier ruiné devenu gentleman farmer vaguement philosophe. Les autres personnages, bien qu'on s'y attache, bien qu'on suive leurs évolutions avec plaisir, sont surtout pour l'auteur autant de facettes d'une grosse boule amusante nommée « bonne société », grosse boule que fait rouler Saki sur une piste tracée par Trollope et depuis suivie avec bonheur par Waugh, Barnes ou Fry, et bien d'autres à la télévision ou au cinéma.