« Des hommes, des femmes et des enfants, demeuraient serrés les uns contre les autres sur les ponts. Beaucoup pleuraient en silence. Beaucoup s'étreignaient. D'autres restaient à l'écart, prostrés dans une douleur muette. Tous éprouvaient le même chagrin, la même détresse devant l'inconnu qui s'ouvrait devant eux et qui ressemblait à cette nuit si noire et si hostile. Chacun, à ce moment, se retrouvait seul dans sa souffrance. Et chacun s'accrochait à une certaine idée de la vie, se promettait qu'il reviendrait, que l'exil ne durerait pas. Quelques-uns, seulement, savaient. Ceux-là regardaient disparaître les côtes de Russie le cœur déchiré, croyant encore les voir, quand il n'y avait plus rien que les vagues et l'eau, à l'infini. Ils savaient que sur les milliers d'émigrants qui avaient dû fuir la Crimée, ce 11 avril 1919, presque aucun ne reviendrait. »