Se proclamer " Mécontent ", c'était pour les nobles, pendant le siècle troublé qui sépare les règnes de Henri II et de Louis XIV, se prévaloir d'un
statut quasi officiel d'opposant à la politique royale. En l'absence d'institutions vraiment efficaces permettant de s'exprimer légalement, le
recours à la violence apparaissait comme un moyen normal de faire entendre sa voix: les Mécontents qui avaient à se plaindre du roi ou de ses
conseillers " prenaient les armes " pour faire pression sur lui et alerter l'opinion. Ces révoltes ambiguës ont rassemblé des hommes issus de
catégories sociales variées, mais leurs chefs ont été des gentilshommes, parmi lesquels on comptait les plus grands noms de la noblesse.
Ceux-ci poursuivaient un but commun, par-delà la diversité de leurs convictions religieuses: il s'agissait pour eux de promouvoir une plus
grande participation des sujets _ dont ils s'estimaient les porte-parole naturels _ au gouvernement. Leurs prises d'armes ont été un effort
désordonné et souvent désespéré devant l'évolution " absolutiste " de la monarchie, pour faire triompher une autre conception, tout aussi
cohérente, du pouvoir et des hiérarchies sociales: pour eux, se révolter était un devoir.
La connaissance de ces révoltes, de leurs animateurs, l'examen attentif des écrits _ théoriques ou de circonstance _ publiés à leur occasion, est
indispensable pour bien saisir la portée de l'évolution politique de l'âge classique auquel on est condamné à ne rien comprendre si on ne la
situe pas dans la perspective des combats qui l'ont précédé. Après la Fronde se dégagera lentement une théorie politique plus ouverte sur la
recherche de moyens institutionnels susceptibles d'incarner durablement l'idéal politique de la noblesse, ou du moins de la partie la plus riche
et la plus éclairée d'entre elle. Au carrefour de l'histoire politique, de l'histoire sociale et de l'histoire des idées, cette démarche apporte une
contribution décisive à l'étude des relations entre pouvoir et société dans la France d'Ancien Régime.
Professeur à l'université Paul-Valéry de Montpellier, Arlette Jouanna est spécialiste du XVIe siècle en général, et de la noblesse de cette période
en particulier. Elle a publié en 1977 Ordre social. Mythes et hiérarchies dans la France du XVIe siècle.