" Il n'était pas mort aussi longtemps qu'elle n'en parlait à personne.
Il était vivant, aussi longtemps qu'elle le voulait. "
Depuis des années qu'ils sont mariés, Alice et Jules ont leur petit rituel : chaque matin, tandis qu'elle paresse au lit, c'est lui qui prépare le café avant de dresser, au salon, la table du petit-déjeuner. Puis, à dix heures pile, le fils de la voisine, David, a l'habitude de sonner à leur porte pour une partie d'échecs avec celui qu'il appelle " M. Jules '. Enfant autiste, David aime profiter du calme des deux retraités, de leur douce lenteur et de leur vie bien réglée. Mais ce jour-là, lorsque Alice rejoint son époux au salon, elle le retrouve tranquillement assis sur le canapé, toujours vêtu de son pyjama, l'air serein mais le regard étonné. Mort.
Que faire ? Doit-elle téléphoner aux pompes funèbres ? Hors de question : en moins d'une heure, des croque-morts viendraient chercher le corps de Jules et exhiberaient aux yeux d'Alice leurs sinistres catalogues, pleins de cercueils. Doit-elle appeler leur fils Herman ? Il est sans doute déjà parti travailler, et Alice n'a pas envie de lui annoncer la mauvaise nouvelle en passant par sa femme. Autant attendre le soir pour le ménager un peu. Et d'ailleurs, pourquoi bouleverser tous leurs repères quotidiens ? David ne doit-il pas arriver, d'ici une heure, pour sa partie d'échecs ? Puisque de surcroît la neige tombe à gros flocons dehors, elle décide de ne rien précipiter. Dans ce temps suspendu et grâce à la complicité de David, Alice va garder son homme chez elle, à ses côtés une journée encore, et prendre le temps de lui confier tout ce qu'elle n'avait pas pu, ou su, lui dire de son vivant...