En écho à Nicole Loraux qui, en 1984, dans Les enfants d'Athéna, lisait « en historien les mythes dans leur ancrage civique », les enracinant, tel l'olivier don d'Athéna, dans le paysage de la cité, Corinne Bonnet explore, avec Les enfants de Cadmos, le paysage religieux de la Phénicie tel qu'il se redessine de la conquête d'Alexandre à l'aube de la domination romaine. Entre appropriation territoriale et tissage de réseaux de parenté, entre mobilité et intégration, entre hégémonie et ruses culturelles, la Phénicie hellénistique se complexifie bien plus que le concept d'« hellénisation » ne le donne à penser. Par l'analyse minutieuse des dossiers documentaires issus des cités phéniciennes — Arados, Byblos, Sidon et Tyr — et des milieux diasporiques — Athènes et Délos —, l'enquête poursuivie dans le sillage de ceux qui se revendiquent du prestigieux Cadmos recourt aux outils issus de l'anthropologie et de la sociologie. Elle fait émerger, pour l'interpréter, un middle ground caractérisé par diverses formes de négociation entre Grecs et Phéniciens. En dépit de la morsure de l'impérialisme grec, c'est une Phénicie en marche que l'on observe, nullement figée dans la nostalgie du passé ni arc-boutée sur un patrimoine identitaire menacé, une Phénicie ouverte depuis longtemps aux transactions et aux métissages. Les enfants de Cadmos entend suggérer que seule une approche résolument décloisonnée des études phéniciennes permettra aux sémitisants et aux hellénistes de dialoguer, aux historiens, aux anthropologues et aux sociologues de s'interpeller, aux spécialistes du Liban et de la Tunisie d'hier et d'aujourd'hui de se rencontrer.