J'ai vu des collègues brûler vif un enfant de quinze ans. J'ai vu des soldats se déguiser en terroristes et massacrer des civils. J'ai vu des colonels assassiner, de sang-froid, de simples suspects. J'ai vu des officiers torturer, à mort, des islamistes. J'ai vu trop de choses. Autant d'atteintes à la dignité humaine que je ne saurais taire. Ce sont là des raisons suffisantes, j'en suis convaincu, pour briser le mur du silence.
Habib Souaïdia a combattu dix ans dans l'armée algérienne. Il a été entraîné dans la "sale guerre" qui déchire son pays depuis 1992, après l'arrêt du processus électoral face à la victoire annoncée des islamistes du FIS. Réfugié politique en France depuis quelques mois, il est le premier officier à témoigner à visage découvert des atrocités commises par les militaires algériens.
À la lecture de ce témoignage exceptionnel, le choc est énorme face au décalage entre la réalité de cette guerre et l'image qu'en donnent le plus souvent les médias occidentaux. Sans remettre en question le moins du monde la violence islamiste, Habib Souaïdia dénonce la stratégie du pouvoir militaire - "il faut terroriser les terroristes", qui a conduit à "la mort inutile de dizaines de milliers de civils, que rien ne justifiait". La stratégie d'un pouvoir qui n'a jamais cherché à analyser et à comprendre la situation du peuple algérien, ses motivations sociales et économiques aussi bien que religieuse.
Emprisonné de 1995 à 1999 parce qu'il avait osé dénoncer les exécutions sommaires et questionner la torture, Habib Souaïdia parle aujourd'hui "pour ne pas se sentir complice de crimes contre l'humanité". Mais avoue qu'il ne pourra jamais se pardonner d'avoir lui aussi massacrer son peuple. --Maya Kandel