La création de l'Etat d'Israël, au lendemain de la persécution des Juifs d'Europe, permet d'entretenir l'idée que les deux événements sont liés. Dans cet essai historique, Georges Bensoussan, spécialiste de l'histoire du sionisme, montre qu'il s'agit d'une construction tardive dont il tente d'évaluer les effets sur la politique israélienne d'aujourd'hui. Remontant dans l'histoire, il examine en particulier la manière dont le foyer national juif installé en Palestine a réagi aux persécutions nazies. Le projet sioniste entendait promouvoir la création d'un État pour un « homme nouveau », profondément différent du Juif de la diaspora.
La réaction du foyer juif à la catastrophe ne fut pas celle d'une identification sans condition : la « passivité » des déportés suscita une forme de rejet. Si les rescapés furent accueillis en nombre, c'est sous réserve d'un certain silence sur leur passé. La mémoire concrète du désastre ne refit surface que progressivement, après le procès Eichman et les guerres israélo-arabes. Depuis, la Shoah a occupé une place croissante dans le discours national israélien. G. Bensoussan adopte, face à cette « religion civile » du souvenir, une position pour le moins critique. Selon lui, elle réinscrit le peuple juif dans son destin de victime, invite Israël au repli sur lui-même et attise la haine contre les Arabes. La Shoah, selon ses mots, ne fonde par l'État d'Israël « il en parasite la naissance, l'existence et le sens ». Toute hypermnésie à ce sujet lui semble contraire aux valeurs positives du projet sioniste.