« Mon père avait coutume d'appeler ce coin du Montana « la larme d'un ange ». Je crois, avec le recul, qu'aucun nom ne me semblera jamais plus beau, ni plus approprié aux événements de cette année-là.
C'était l'été 1953, j'avais tout juste douze ans et mon frère Josh, dix ans. C'était quelques semaines avant qu'on ne le tue.
Je repense souvent à ce lieu empreint d'un bonheur oublié. Mon âme d'enfant s'est gorgée de ce panorama, à en éclater, au point que même aujourd'hui, je parviens à me le remémorer très distinctement. Je suis encore capable d'en retracer les moindres contours dans ma tête, je retrouve ses rives accueillantes, je ressens à nouveau la fraîcheur de son eau claire sur ma peau, et la douce tiédeur du soleil qui s'y reflétait. Je revois nos peaux dorées après des heures de baignade. Je revois mon père, je revois Josh. Et, à présent que me voilà bien âgé, lorsque parfois j'éprouve des difficultés à trouver le sommeil, lorsque, la nuit venue, le passé revient me hanter, c'est à Swan Lake que je songe. À cette larme d'un ange. Ces souvenirs lointains, enfouis en moi, me sont à la fois infiniment beaux, et infiniment douloureux.
Swan Lake, et cet été 1953. »