L'inflexible Caton avait voulu que de la grande cité qui fit trembler Rome il ne restât rien. Il fut bien près d'y parvenir. Jusqu'à la fin du siècle dernier, Carthage n'a en effet guère laissé dans la mémoire des hommes que ce que les récits des Anciens, pour beaucoup hostiles, ont bien voulu nous en dire. Quant à Flaubert, en dépit de ses efforts, il dépeint dans Salammbô une civilisation quelque peu imaginaire.
La révélation est venue de l'archéologie qui, depuis quelques années, a fait des avancées décisives. Elle a permis de faire justice des mythes ou des calomnies propagés par les ennemis de Carthage et surtout de nous informer avec une précision croissante sur les croyances des Carthaginois, sur leur mode de vie, sur la vigueur économique de leur cité, sur les multiples villes qu'elle fonda, sur son commerce, sur son agriculture...
L'étude de la culture matérielle a permis de mettre en évidence le caractère métissé de la civilisation d'une cité aux racines orientales établie dans l'ensemble de la Méditerranée occidentale, ouverte aux influences extérieures (notamment artistiques). Il ne fait pas de doute que sa destruction impitoyable en 146 av. J.-C. a constitué un tournant capital de l'Histoire. Puissance d'abord continentale, Rome, qui l'a supplantée, a évidemment imposé un modèle de civilisation radicalement différent de celle qu'elle avait développée.
Ancien membre de l'Ecole française de Rome, professeur à l'université de Grenoble, spécialiste de l'Afrique du Nord dans l'Antiquité, Serge Lancel a dirigé des chantiers de fouilles en Algérie et en Tunisie, et notamment la mission archéologique française qui a opéré à Carthage entre 1974 et 1981 dans le cadre de la campagne internationale patronnée par l'Unesco.