Après l'effondrement du Second Empire et l'écrasement de la Commune de Paris, deux jeunes hommes quittent l'Alsace afin de rester français et se rencontrent sur la route de l'espoir.
Voulant s'affranchir des conventions de leur temps, ils revendiquent l'héritage de certains pirates et rêvent d'une terre promise, Libertalia, tout en devant composer avec la réalité parfois amère de la IIIe République. De l'atelier de Bartholdi aux Batignolles, où s'édifie la statue de la Liberté, jusqu'à l'exposition universelle de 1889 en passant par le canal de Panama et la Tunisie coloniale, l'un et l'autre participent aux aventures qui font vibrer la presse à grand tirage, et grimpent les échelons de la société parisienne.
Trajectoire géographique, historique autant qu'humaine, Libertalia explore une époque où prend fin la Révolution et où naît la France d'aujourd'hui. EXTRAIT Alphonse avait grandi dans une famille de la petite bourgeoisie alsacienne ayant prospéré à l'ombre de la révolution industrielle. Son père était premier contremaître dans la plus grande filature de Mulhouse, maillon d'une chaîne vouée à l'oppression des masses. Rêvant de grands espaces, Fons avait fui l'enfermement de l'usine, l'accumulation du capital, l'église du dimanche et les ruines de l'Empire. Il avait fui intérieurement, bien avant de quitter Mulhouse pour ce qui restait alors de la France amputée.
Il avait tracé des lignes imaginaires dans les champs et les bois, couverts des arpents de collines, établi des côtes destinées à légitimer une propriété qu'il honnissait. La mesure du terrain l'avait tiré de l'illusion matérialiste pour mieux le plonger dans une réalité faite de biens fonciers, de litiges de voisinage et de bornes déplacées. Il rêvait de cartographier des terres inconnues, des continents lointains et obscurs, des ténèbres de jungle. Il songeait à l'Abyssinie, à Madagascar.
Au moment du choix, la Prusse ayant laissé aux Alsaciens la possibilité de quitter leur région jusqu'au 1er octobre 1872, ce n'est pas tant la France que Fons avait embrassée, car la bourgeoisie menait la danse des deux côtés du Rhin, mais une certaine idée de la liberté, celle de la Commune écrasée dans l'œuf un an plus tôt, celle du maître Proudhon.
Enfin, il avait renoncé aux vêpres ainsi qu'aux repas familiaux, invariablement conclus par le sermon paternel.