George Orwell est célèbre pour avoir écrit, dans les années quarante, deux livres étranges qui mettent en scène des situations exceptionnelles : La ferme des animaux et 1984. Pourtant, le thème de l'ordinaire occupe une place centrale dans son oeuvre. Ses romans réalistes racontent l'histoire d'un homme simple [fonctionnaire médiocre, poète désargenté, petit employé]. aux prises avec un ordre du monde qui l'empêche de mener une existence ordinaire et honnête. Ses récits documentaires [Dans la dèche à Paris et à Londres, Le Quai de Wigan, Hommage à la Catalogne] décrivent, dans un style direct et sans fioritures, sa rencontre avec des gens de peu [clochards, marginaux, travailleurs saisonniers, mineurs, petit peuple catalan, etc.], dont il cherche à partager les joies et les souffrances quotidiennes. Enfin, ses essais critiques et politiques ne cessent d'insister, dans le but de contrer la propagande totalitaire et son programme d'une révolution totale de la vie, sur le respect dû aux modes de vie traditionnels de la classe ouvrière et, plus généralement, du peuple. Chaque ligne écrite par Orwell peut donc être lue comme une apologie des gens ordinaires.
Plus que jamais à la mode, Orwell se voit salué par la jeune garde philosophique dans "De la décence ordinaire". Le mot paraît désuet, follement pharisien. La "décence", voilà qui sent son moralisme des années 1950 et sa vieille fille de province, à l'heure où, preuve par Catherine M., il est finalement jugé plus obscène d'éplucher anxieusement les mails de son homme que de lever le voile sur vingt ans de partouzes. La décence, ou plus exactement la "décence ordinaire", common decency, en anglais, telle est pourtant le pilier de toute la pensée politique de George Orwell. L'auteur de "Zéropolis", Bruce Bégout, lui consacre aujourd'hui un lumineux essai. [Aude Lancelin - Le Nouvel Observateur du 11 septembre 2008]