Svedana Alexievitch a osé violer en 1990 un des derniers tabous de l'ex-URSS: elle a démoli le mythe de la guerre d'Afghanistan, des guerriers libérateurs, celui du soldat soviétique que la télévision montrait en train de planter des pommiers dans les villages alors qu'en réalité, il lançait des grenades dans les maisons d'argile où les femmes et les enfants étaient venus chercher refuge. L'Union soviétique était alors un État militariste, camouflé en pays ordinaire et il était dangereux de faire glisser la bâche kaki recouvrant les fondations de granit de cet Etat. Elle privait les jeunes gars revenus de la guerre de leur auréole d'héroïsme : ces garçons avaient perdu leurs amis, leurs illusions, leur sommeil, ils étaient devenus incapables de se refaire une vie et sont devenus aux yeux de leur entourage, et cela dès le premier extrait paru dans la presse, des violeurs, des assassins et des brutes.