[center]Raoul Deberdt, "La caricature et l'humour français au XIXe siècle"
Le XIXe siècle a été tout particulièrement fécond en images. L’invention de la lithographie populaire, puis la création des journaux illustrés vers 1830, et les extraordinaires progrès de l’impression en couleur ont contribué à substituer peu à peu le papier imagé à la toile peinte et encadrée. Le tableau se meurt ; mais la démocratique image s’insinue partout, couvre les murs à la façon des anciennes fresques décoratives, et envahit aussi la presse politique quotidienne, où elle parvient très heureusement à remplacer les longues chroniques par des portraits ou des reproductions instantanées bien plus documentaires que les phrases d’un écrivain bavard.
Puis encore, aux yeux du penseur, l’image même la plus grossière est une merveilleuse dénonciatrice des sentiments et des mœurs d’une époque. Tandis que la grande peinture tout individuelle d’un Paul Delaroche, d’un Corot ou d’un Puvis de Chavannes ne nous indique presque rien sur les manières d’agir ou de sentir qu’avaient les contemporains de ces artistes, au contraire, la gravure populaire, gaie ou sentimentale, a une portée historique et sociale considérable : c’est par elle que nous parvenons à pénétrer rétrospectivement les joies ou les inquiétudes morales de nos pères ; c’est par elle que nous pouvons entrer en permanente communication avec les traditions de la famille ou de la race, avec la vieille âme française.
Enfin, l’image a cet énorme avantage d’être à la portée de tous. Il n’est pas de si petit bourgeois qui, en fouillant sa bibliothèque, ses placards, ses paperasses, ne puisse retrouver quelques anciens volumes de l’Illustration ou du Charivari, quelques caricatures, quelques estampes, quelques journaux ; et cela est déjà suffisant pour former l’embryon d’une très amusante collection où soient tout au moins esquissées et indiquées les cinq ou six grandes variations qu’ont subies la gaieté ou la sentimentalité de nos aïeux pendant le cours d’un siècle.
Quoi de plus charmant que de reconstituer ainsi, par un assemblage de vieilles gravures de famille, la douce psychologie et la bonhomie goguenarde de ces générations d’hier qui nous transmirent ces papiers jaunis et qui y trouvèrent elles-mêmes une source d’émotion ou de rire bienfaisant ?[/center]