Un critique particulièrement bienveillant (Revue de Méta- physique et de Morale, janvier-mars 1950, p. 103) reprochait à la première édition de ce livre de prétendre s'adresser à la fois aux lecteurs spécialisés, avertis des problèmes techniques de la philosophie, et à un plus vaste public, le public simple- ment curieux des choses de l'esprit. Nous avons voulu, dans
cette nouvelle édition, tenir compte de l'observation. Toute- fois, si nous avons apporté à notre exposé les précisions et les compléments que pouvait attendre un étudiant, nous nous sommes efforcé cependant de ne pas rendre le texte inacces- sible à un lecteur qui, sans être spécialiste, désirerait s'ins- truire de la philosophie kantienne.
C'est pourquoi nous sommes resté fidèle à :notre méthode première, nous attardant aux démarches, au cheminement de la pensée de Kant, au lieu d'exposer simplement ses idées essentielles. Certes les inconvénients de cette méthode demeu- rent : d'une part, elle ne fait pas suffisamment ressortir, peut- être, les pièces maîtresses du système ; d'autre part, elle donne à l'exposé une allure sévère, peu engageante pour le lecteur. Sans doute un commentaire assez éloigné du texte parvien- drait-il à éclairer mieux les grandes idées de Kant qu'une analyse serrée de ses �uvres. Et ces grandes idées, résultats des longues recherches du philosophe, ont: assez d'importance en elles-mêmes pour justifier un commentaire qui ne s'atta- cherait qu'à elles. Aussi avons-nous essayé, dans cette édi- tion, de dégager en un premier chapitre les grands thèmes de la pensée kantienne.
Mais il semble qu'on ne puisse vraiment se faire une idée précise d'un philosophe que si l'on a suivi son effort de décou- verte et passé avec lui par les différents moments d'une démonstration. Nous n'avons donc pas cherché essentielle- ment à mesurer l'importance des thèmes fondamentaux du Kantisme. Mais plutôt nous avons essayé de montrer d'où venaient ces thèmes, comment ils se présentaient, comment ils se développaient. De là l'aspect systématique de notre exposé, qui n'est finalement qu'un résumé analytique des grandes oeuvres de Kant. De là aussi son aridité, qui est l'aridité même de ces grandes oeuvres. Kant lui-même avouait, dans la préface de la première Critique, qu'il avait cherché à obtenir « la clarté discursive », celle qui résulte des concepts, plutôt que « la clarté intuitive », qui résulte des exemples et éclaircissements concrets. D'ailleurs, remarquait-il, cette forme de clarté est souvent nuisible à la première, et « bien des livres auraient été plus clairs s'ils n'avaient pas voulu être
si clairs ». Ce qu'il importe d'abord de comprendre, ce sont les articulations et la structure du système. C'est cela sur- tout que nous avons essayé de faire ressortir, sans craindre de nous écorcher, et le lecteur avec nous, aux « épines qui couvrent le sentier de la critique ».