L'esprit de Stève Masson, narrateur de Lourdes, lentes' vibre encore des souvenirs de son enfance : il contemple sans se lasser ces « instants oméga » partagés avec Germaine, sa jeune maîtresse, au cœur de l'été, sans une salle à manger ou dans un bois. Du premier baiser aux premières étreintes, le narrateur est immergé dans un flot de sensations voluptueuses. Il rêve de régner sur un harem, séduit Lia et Vanessa, et d'Amsterdam à Londres, à l'écart des contingences matérielles, se livre aux fantaisies érotiques de ses maîtresses. Il revoit avec émotion les scènes d' « adorable torture » que son amie Yaël et lui-même firent subir à Ingrid ; mais c'est auprès de Germaine qu'il retrouve la paix et la sérénité qui lui permettent d'évoquer avec nostalgie cette « résurrection » de sa jeunesse.
A rebours du souvenir proustien vécu, à l'ombre d'une mère, sur le mode d'une quasi-abstinence, Hardellet fait précéder son « exercice de l'ombre et du secret » d'un parodique « longtemps je me suis couché de bonne heure ' le matin ». Non content de battre en brèche tout érotisme convenu et allusif, Stève Masson, prônant l' « hallucination vraie », dénonce la sournoise complicité de ceux qui « portent des masques ». Ayant étroitement accordé « jours vécus et imaginaires », ce narrateur iconoclaste et volontiers hâbleur (« Imaginez, braves gens' ») cultive, avec l'assentiment de ses maîtresses, une imagination délirante qui fait souhaiter qu'un hélicoptère répande « sur la ville une sorte de LSD aphrodisiaque ». L'essentiel n'est-il pas, pour cet apologiste des « ruades et saccades » ignorant délibérément les « pénitences », dans l'énergie qu'il met à savourer chaque étape de sa contemplation érotique ? Haleine et gouttes de sueur, « truites et saumons qui barattent l'eau aux grandes fêtes saisonnières du frai » : tout, en une série de brèves séquences, semble participer du même fusionnel embrasement, dans une communion primesautière qui, à travers les « mots sales » que lui reproche son impudique maîtresse, réconcilie le narrateur avec son « innocence perdue ». A la poursuite de sa « part d'Eden », c'est ainsi qu'Hardellet se souvient, mais toujours au présent de l'indicatif, comme pour mieux laisser l'initiative à sa passion de l'image, à ce déploiement de son « arc-en-ciel intérieur » qui élève ce récit érotico-onirique aux dimensions d'un scandaleux manifeste de libération esthétique.