Le monde comme volonté et comme représentation (1819) : le titre est à la fois clair et sibyllin. Clair pour quiconque sait lire et comprend immédiatement que le monde n'est pour l'auteur que de la "volonté" et de la "représentation". Sibyllin pourtant à l'entendement commun qui ne peut que reculer devant la radicalité de cette thèse. Et il y a de quoi, en effet, hésiter à suivre Arthur Schopenhauer (1788-1860) à mesure que l'on découvre les implications de sa philosophie qui reconnaît, comme seule matière de l'existence, le désir et les illusions de la pensée. Toute transcendance morale, religieuse ou métaphysique se trouve ruinée, dissipée à titre de mirage consolateur entretenu par une vie qui n'a d'autre vocation que la souffrance. La seule issue du vouloir-vivre est dans le renoncement à lui-même, dans le détachement et l'acceptation du vide. Très influencé par les grands thèmes de la sagesse bouddhiste, Schopenhauer est aussi et surtout un héritier de Kant et c'est dans les catégories de la pensée occidentale qu'il tente de lever le voile de Maya pour nous confronter à la dure condition d'exister. Les analyses consacrées dans cet ouvrage à l'amour, à la beauté et à l'art ont très vite rendu célèbre leur auteur en Allemagne et au-delà : le jeune Nietzsche marche dans ses pas et Freud reconnaîtra dans le philosophe de Francfort un précurseur de ses thèses sur le refoulement et sur le rôle déterminant de la sexualité dans l'expérience humaine. Un penseur crucial donc, et pourtant mal connu, dont l'œuvre est au carrefour d'une modernité qui se cherche encore et lui devra finalement beaucoup.