Les mémoires d'Albert Speer sont un document exceptionnel à plus d'un titre : témoignage d'un des plus hauts dignitaires nazis, il relate en détail le fonctionnement de l'appareil d'Etat vu de l'intérieur, avec le mélange de rationalité bureaucratique et de soumission à l'arbitraire du chef qui le caractérise.
Comment les décisions se prennent-elles, à quel niveau, comment sont-elles appliquées ? Mais c'est aussi l'itinéraire d'un homme brillant, architecte de talent, qui est rapidement séduit personnellement par Hitler et qui va progressivement mettre son intelligence et ses compétences au service de la machine de guerre nazie et d'une idéologie totalitaire.
Ce n'est que dans les tous derniers mois du régime que ses yeux se dessillent et qu'il manifeste quelques velléités d'indépendance : il aura auparavant, comme ministre de l'armement, organisé la production d'armes et de munitions avec une efficacité redoutable, n'hésitant pas à mettre en oeuvre le travail forcé des prisonniers de guerre, de ceux des camps de concentration et des recrues du travail obligatoire.
Ce livre lucide ne cherche ni à justifier, ni à amoindrir la responsabilité de l'auteur qui affirme : « je n'ai pas seulement voulu raconter, mais aussi comprendre ». Rapportant le nazisme à une perversion de la logique technicienne de notre époque il nous livre aussi une interrogation sur l'énigme de l'aveuglement et de la servitude volontaire.