"Mon existence est devenue intéressante, disons, l'été de mes quatorze ans. J'étais à fond dans la fumette et comme j'avais pas d'argent pour m'acheter de l'herbe je me suis mis à fouiner tout le temps dans la maison pour dénicher des trucs à vendre mais il n'y avait pas grand-chose."
C'est alors que Bone, avec sa crête, son nez percé et le tatouage fondateur de son identité ( des os en croix ) prend la route, et que le roman se déploie au fil de ses aventures et de ses rencontres avec tout ce que l'Amérique puis la Jamaïque comptent de marginaux, d'aventuriers et de sages.
Le succès considérable que ce roman (sous le titre The Rule of the Bone) connaît aux Etats-Unis tient sans doute à l'art, si particulier chez Russell Banks, qui consiste à se mettre à fond dans la peau, la mentalité et le langage d'un personnage à la fois emblématique et révélateur de la société où il évolue. En tout cas, le récit prolixe du jeune Bone - l'un de ces mall rats (rats des galeries marchandes) que les Américains ont vu surgir dans leurs cités tentaculaires -, narrateur et personnage central du livre, renoue avec la tradition des petits héros de basfonds. On n'a pas manqué d'ailleurs, aux Etats-Unis, de voir en Bone le successeur, un siècle plus tard, de Huckleberry Finn, l'inoubliable personnage de Mark Twain. Et il est vrai que, de son quatorzième à son quinzième anniversaire, tout au long du parcours qui l'amène à se connaître, à former son jugement, à trouver son équilibre, et même quand il revend de la drogue ou saccage des lieux qui l'ont accueilli, cet impayable Bone manifeste un fond de bon sens, donc une espérance. Et ainsi, ce petit Lucifer, porteur de lumière dans ses égarements, prend-il une valeur universelle et se montre-t-il si attachant, dans un contexte social qui ne contredit pas le pessimisme habituel de Russell Banks, qu'il fait de ce roman une féerie.