SOIXANTE-DIX millions d'Américains, plus d'un tiers de la population des États-Unis à cette époque, ignorèrent tout de la guerre. Ils ne surent même pas qu'elle avait lieu, car leur participation aux événements fut trop brève.
Les premières bombes touchèrent le sol à onze heures dix du matin – heure de Washington. Durant quarante minutes, elles continuèrent à pleuvoir, par une ou deux, par cinq ou six. D'où venaient-elles ? D'au-delà de l'atmosphère terrestre. Pendant qu'elles tombaient, les radars de l'armée, d'un bout à l'autre du pays, les percevaient, semblables à de petits points mobiles filant dans le ciel du nord vers le sud. Celles qui tombèrent sur San Francisco venaient du nord ; de même celles qui atteignirent Chicago, New York, Phoenix, et la Nouvelle-Orléans. Avec une exactitude mathématique, leur trajectoire divergeait du pôle Nord. Elles y passaient donc toutes mais ce n'était pas de là qu'elles venaient. Au total il en tomba quelque deux ou trois cents. À onze heures cinquante, heure de Washington (mais déjà Washington n'existait plus), elles cessèrent de pleuvoir, et les écrans des radars ne détectèrent plus rien : les petits points mobiles avaient disparu. Hélas, les villes américaines avaient fait de même.