De plus en plus souvent dans l'hémishère Sud les conflits armés, révoltes, contradictions sont d'essence culturelle. Le choc de la modernité -
celle de la rationalité marchande et technicienne ou celle de la révolution matérialiste - ébranle en profondeur des sociétés traditionnelles hier
encore cohérentes. Et celles-ci résistent plus farouchement qu'on aurait pu l'imaginer. Elles se savent porteuses d'une cohérence, d'une
chaleur, d'un sens que nous avons, le plus souvent, perdus. D'où la violence de leur refus et l'échec répété des modernisateurs.
Au Nicaragua, la raison révolutionnaire des sandinistes échoue devant la raison autonome des Misquitos, barricadés dans leur spécificité. A
Cuba, le castrisme d'origine hispanique et blanche n'a pas vraiment su intégrer la culture "nègre" pourtant majoritaire, mais entachée du
soupçon d'opposer un frein au progrès. En Ethiopie ou dans les Républiques musulmanes d'URSS, la logique du socialisme scientifique se
heurte à la même résistance culturelle. Au Burkina-Faso ou dans les îles du Cap-Vert, conscients des embûches de l'unilinéarisme des modèles
de "développement" et sans doute favorisés de ce point de vue par la pauvreté des ressources de leur pays et leur manque d'attrait aux yeux
des nouveaux colonialistes, les dirigeants cherchetn à fonder leur politique sur les valeurs ancestrales qui ont permis à leur peuple de survivre
et de créer des sociétés originales.
Apparemment pourtant, presque partout, un contradiction profonde et grave oppose le désir de déracinement, de la dilution de toute identité
culturelle. Et c'est sans doute ce type de contradiction - culturelle plus qu'économique - qui dominera l'histoire de l'hémisphère Sud dans les
années à venir.
Sur cette question, Jean Ziegler, spécialiste et homme de terrain, propose ici tout à la fois un grand reportage sociologique et un essai
flamboyant.