« Du plus loin que je me souvienne, j'ai toujours admiré les clowns, les humoristes, les antihéros, les faux atrabilaires, les ironiques, les
cyniques et les provocateurs. Le rire est transgression. » A cette liste Karine Tuil devrait ajouter le personnage du « looser » désenchanté,
lâche, affabulateur et mauvais fils qu'est le héros (anti-héros serait plus juste) de son dernier roman, Jérémy Sandre dit Jerry Sanders.
Humoriste exilé volontairement à New York pour s'y produire dans une « stand up » comédie, ce maladroit cumule les handicaps : français
habitant dans le quartier arabe après le 11 septembre, donc réduit à la portion congrue de la société du spectacle, fiancé à une fille de l'Est, père
d'une jeune fille belle comme le péché, dont il ne s'est jamais vraiment occupée. Dégringolant l'échelle sociale plus vite qu'il ne l'a jadis
escaladée, Jérémy s'installe dans l'imposture en faisant croire aux siens, à distance, que l'Amérique lui fait un accueil triomphal. Finalement
contraint de revenir en France, sa parentèle va finir de l'exaspérer. Jusqu'au meurtre d'un ancien associé, personnage vil et corrompu, dans
des conditions dont on ne dira rien ici. Quand le livre s'ouvre, Jérémy est emprisonné. De sa cellule où il attend le jugement et la délivrance,
Jérémy comme Job se lamente, partagé entre le grinçant de la comédie et les larmes de l'échec programmé. Karine Tuil a écrit avec une
virtuosité inégalée le roman du rire et de l'oubli. Tel un personnage de Saul Bellow, Jérémy prend la terre entière à témoin de l'impasse
existentielle où il est réduit par sa faute. N'ayant plus rien à perdre, il préfère en rire. Nous aussi, d'ailleurs.