Longtemps je n'ai pas pu retourner dans le Bronx. C'était dans mon crâne comme un cri strident, ou une blessure que m'aurait recousue quelque chirurgien fou et dont je n'osais pas retirer un seul point. C'était un pays dépourvu de tout, un monde sans livres, sans librairies, sans musées, où les pères rentraient à pas pesants de la crèmerie ou de l'usine à chaussures qui les employaient, les épaules ployant sous une monumentale tristesse, où les mères comptaient le moindre sou chez le boucher... alors que leurs enfants, tous instruments du désordre, garçons comme filles, volaient, mordaient, brimaient à tort et à travers.
Et voilà qu'aujourd'hui, au fil de treize nouvelles, Jerome Charyn revient dans ce "Bronx amer" où il est né et où il dit avoir tout appris à la dure école de la rue. Très jeune, il y a connu les guerres de gangs, mafiosi, albanais ou cubains et fréquenté des escrocs et des voyous qu'un gamin pouvait trouver magnifiques, des femmes faciles mais si séduisantes, des truands sympathiques – bref les personnages qui hantent tous ses romans.
Mais désormais, le ton s'est durci, la tonalité est plus sombre, 'j'entends des cris de guerre au loin', nous dit-il. Ce qui par contre n'a pas changé, c'est ce style inimitable, syncopé, "jazzy" – bref la merveilleuse musique de Jerome Charyn.