« J'ai fait un tirage de la photo de mariage de sa mère. Joseph Natal habitait Tremblay-en-France, près de la gare du Vert-Galant. » En prime, elle avait joint plusieurs clichés aux couleurs saturées. Les femmes de la famille méconnaissables, à Ivry, pendant la guerre, le visage recouvert d'un masque à gaz, un pas de danse sur l'herbe, le sourire radieux qu'elle offrait au monde au côté de Youri Gagarine, le premier homme de l'espace. Elle avait tracé une croix pour indiquer la place qu'elle occupait dans une ronde de gamines exposées aux rayonnements bienfaiteurs d'un appareil à ultra-violets. Sur la dernière photo, la porte de l'hacienda faisait comme une tache de soleil dans le bleu intense qui recouvrait la façade.
Une maison oubliée, de l'autre côté du périphérique, comme point de confluence de l'Histoire. Des histoires ? Lorsque la narratrice la découvre par hasard, ce n'est qu'une ruine sur le point de tomber dans le domaine public. À force de recherches et de conversations avec les survivants d'un siècle révolu, au rythme des photographies jaunies et des souvenirs troubles qu'elle exhume, elle commence à rassembler les pièces du puzzle. Le long d'une enquête douce et sinueuse parsemée de figures fortes (de Guy Debord à Doisneau en passant par Matisse, les Kinks comme bande son), c'est le portrait d'un lieu à part que dépeint Didier Daeninckx avec poésie : à part à la fois dans l'espace et le temps.