Gênes est « de toutes les Républiques commerçantes la plus enviée, la plus dénigrée et la moins connue », écrit Giuseppe Gorani à la fin du xviiie siècle. De fait, la dernière monographie consacrée à cette pièce-maîtresse du système économique méditerranéen date de plusieurs dizaines d'années. C'est que Gênes n'est pas Venise : rares sont ceux qui, comme Nietzsche ou Valéry, ont été saisis par l'« émotion génoise ». La ville, adossée aux montagnes et « jetée à la mer » (Jacques Heers), ne révèle pas facilement ses secrets, et la plupart de ses centaines de palais ne se visitent pas.
Et pourtant quel destin que celui de la « cité du griffon » ! Dès le Moyen Age, les Génois parcourent l'ensemble du monde connu afin d'y nouer des relations commerciales. Ils s'imposent ensuite comme de brillants financiers, et, banquiers de la monarchie espagnole, ils dominent l'Europe au xviie siècle,
baptisé « siècle des Génois ». Mais ce génie des affaires ne se traduit pas en politique, et la République génoise est sans cesse le théâtre de rivalités et de luttes intestines, de complots et de révoltes. Gênes, enfin, c'est la ville de l'essor économique risorgimentale, le grand port industriel italien, le haut lieu de l'industrialisation et des luttes sociales des xixe et xxe siècles.
Antoine-Marie Graziani montre combien, tout au long de sa tumultueuse histoire, la cité bat au rythme d'événements plus vastes et d'équilibres fort lointains. Car si elle est enfermée derrière ses murs, menacée par des forces féodales ou de puissants voisins, victime de crises politiques, Gênes se réinvente en permanence et paraît, aux yeux de Fernand Braudel, « comme un monstre d'intelligence [.] condamné à s'approprier le monde, ou à ne pas être ».
Antoine-Marie Graziani est professeur des universités à l'Université de Corse, membre senior de l'Institut universitaire de France. Il est notamment l'un des grands spécialistes de l'histoire de la Corse.