Marceline Loridan-Ivens signe "Et tu n'es pas revenu", soixante-dix ans de remémoration sans un mot en trop. Elle a 86 ans et elle regrette le temps qui passe. Pas celui qui la rapproche de sa propre fin ; non, c'est bien plus grave ; elle regrette le temps qui la ramène aux pires heures de sa jeunesse, le temps de l'antisémitisme éternel et réinventé, le temps de la violence barbare, le temps des rejets, celui de ces enfants d'aujourd'hui qui font grincer leur stylo pour ne pas entendre
son témoignage sur Auschwitz-Birkenau. Si certains mots ne sont plus audibles, gravons-les sur des feuilles de papier, pixélisons-les dans des mémoires informatiques ! Ceux de Marceline Loridan-Ivens, mis en scène par Judith Perrignon, ont une force exceptionnelle. Il faudrait les lire entouré du recueillement qui convient, mais en fait peu importe : dès la première ligne, le silence se fait, plus rien ne compte jusqu'à la dernière ligne, et ces mots, nul ne pourra les oublier. On a pu croire
qu'après Primo Levi, après Robert Antelme, après Claude Lanzmann, tout était dit. Marceline Loridan-Ivens nous prouve le contraire. La force de son texte, c'est cette colère et cette douleur intactes, amplifiées même par "ce temps qui ne passe pas", pour reprendre le beau titre de J.-B. Pontalis.
(Patrice Trapier - Le Journal du Dimanche du 1er février 2015)