Longtemps, nous avons cru que le progrès de la morale allait de pair avec le développement de la culture. Le nazisme, montre George Steiner a pulvérisé cette illusion : Buchenwald n'est situé qu'à quelques kilomètres de Weimar. Longtemps aussi, au moins depuis Athènes, nous avons été animés par la conviction que l'investigation intellectuelle devait aller toujours de l'avant et, selon la belle métaphore de Steiner, nous conduire à ouvrir l'une après l'autre les portes du château de Barbe-Bleue. Mais cette foi dans le progrès est aujourd'hui vacillante : peut-être le développement technique est-il un piège et non une libération ; peut-être la dernière porte du château donne-t-elle sur des réalités contraires à notre équilibre mental et à nos maigres réserves morales. L'optimisme des Lumières nous est donc interdit, et c'est une redéfinition tragique de la culture que propose le livre dense et lucide de George Steiner.