Premier écrivain de l'histoire de notre littérature : le premier sous le nom duquel on ait placé plusieurs ouvrages mis «en roman», c'est-à-dire en français, et qui forment une œuvre. Fondateur d'un art de conter et d'un univers à conter, autour d'un roi, Arthur, d'une cour que résume un symbole, la Table Ronde, et de quelques héros auxquels s'identifier pour se perdre dans un éternel hier. Faiseur de mythes, créateur d'un objet religieusement mis en scène et aussitôt retiré, interdit, rendu à jamais désirable, le Graal. Poète de la beauté, du désir, de la joie, de l'amour qui tantôt brille comme l'or des cheveux d'une reine, découverts par Lancelot sur un peigne qui fait signe au bord du chemin, tantôt revêt aux yeux de Perceval, réconcilié avec Dieu au soir du Vendredi saint, les éblouissantes couleurs du sacré. Un poète, un maître, un fondateur, un écrivain : tel est Chrétien de Troyes. Du reste, de sa vie, de son visage, on ignore tout. On sait seulement ceci : il vécut à la fin du XIIe siècle dans la première ville de Champagne, et il laisse cinq des dix romans les plus importants de son époque, un style à imiter, des modèles à admirer, des questions à résoudre, de quoi réveiller l'enfant qui est en nous, et rêver pendant toute une vie d'homme.