"Au cap Saint-Jacques, elle quitta le Pasteur qui continuait vers la baie d'Along et embarqua sur un bâtiment de transport de troupes pour remonter la rivière de Saigon. On entrait dans les terres, on touchait au but. A l'avant du bateau, conquérante, elle scrutait le paysage, un médiocre paysage, très plat, des mangroves pleines de palétuviers, puis des rizières à l'infini dans lesquelles travaillaient des Annamites sous leur chapeau pointu, et des buffles gris et maigres. La rivière n'en finit pas de dérouler ses méandres. Enfin le quai des Messageries. Une fanfare militaire les accueille, qui lui donne des frissons au cœur. Mais ce qui l'envahit avant même de descendre à terre, c'est l'odeur. L'odeur de Saigon, ce mélange lourd de vase, de sucre, d'épices, de saumure..."
A la fin de sa vie, Laurence Bertilleux perd la tête. Ses filles, qui la veillent, l'entendent délirer doucement. Elles saisissent des mots qui sortent de sa bouche, tels que Lân, Chandoc, Coincoin et Moulin. Elles reconnaissent le mot Chandoc où elles savent que leur mère a séjourné avant leur naissance, pendant la guerre d'Indochine. Un matin, Laurence trouve la force d'échapper à la surveillance de son entourage, de se rendre à l'aéroport de Roissy, prête à s'embarquer pour la Guyane. Elle est rattrapée de justesse. Alors elle se laisse mourir, emportant avec elle le secret de son histoire.
Pourquoi l'Indochine ? Pourquoi le choix de cette vie parmi les militaires, pour une jeune fille de vingt-cinq ans ? Pourquoi un si long oubli de ce qu'elle vécut là-bas et quel est ce tourment qui en accompagne le souvenir ? Le roman de Pascale Roze répond à ces questions et à tant d'autres sur un mode aussi intriguant qu'émouvant.