Ce soir, Adrien a décidé de mourir.
Assis à son secrétaire encombré de boîtes de médicaments et de petits flacons foncés, il sectionne, hache, triture à l'aide d'un canif. De temps à autre, il verse les comprimés réduits en poudre dans un verre à whisky. Avec son tee-shirt délavé, sa tignasse ébouriffée et son regard espiègle, il a l'air d'un vieil adolescent, mais les plis profonds aux coins des yeux et de la bouche révèlent son âge véritable, la quarantaine avancée. Des orteils au genou, sa jambe droite est prise dans un plâtre terni. Encore dix jours avant de l'ôter pour recommencer à marcher normalement. Adrien sourit. Un sourire grinçant. Il sera mort avant.
Ses gestes se succèdent, rapides, sûrs, ses doigts travaillent sans relâche, puis s'interrompent brusquement. À travers la fenêtre ouverte lui parvient un aboiement joyeux, ainsi qu'une odeur de feuilles avant la pluie. Pendant quelques instants Adrien s'immobilise et observe. De l'autre côté de la rue, devant la grille du jardin du Luxembourg, Rose est en train de parler à Gaston. Qu'est-ce que son ancienne gouvernante peut bien raconter au chien pour qu'il remue la queue si énergiquement que tout son arrière-train en est secoué et qu'il semble rire ? C'est son museau de lionceau heureux, ses longues oreilles et ses grosses pattes qui ont déterminé le choix d'Adrien, il y a cinq ans déjà, lorsque, à la SPA, on lui a présenté les candidats à l'adoption. Il se souvient bien de ce qu'il a ressenti en ressortant du chenil avec Gaston en laisse : tous ces chiens, attendant avec impatience - c'était son sentiment - ce moment qui pouvait changer leur existence, rentraient dans leurs cages plus pitoyables, plus malheureux que jamais. La mélancolie l'étreint. Gaston ne se sentira-t-il pas une nouvelle fois abandonné, après ? Adrien tente encore de se rassurer en songeant que Rose s'en occupera à merveille, elle qui le garde déjà avec bonheur chaque fois qu'il part en voyage.