Un mythe est savamment entretenu au sujet de Claude Jutra, non seulement par ceux qui l'ont aimé, mais aussi par tous ceux qui veulent comprendre la genèse du cinéma québécois et se donner des «pères fondateurs» en cinématographie. Chez ceux et celles qui l'ont bien connu, les mêmes expressions fusent: un poète, un rêveur un peu fou, un électron libre, une boule d'énergie sous pression, un touche-à-tout génial, un être excessif en tout, très souvent en représentation de lui-même et plus ou moins accessible, opaque. On se souvient de sa timidité vaincue par la volonté de plaire, de son charme qui lui faisait obtenir tout ce qu'il voulait, de son esprit toujours en train de mijoter des projets. On se souvient de celui qui comprend tout et excuse tout, un homme charmant qui ne se fâche jamais.
Yves Lever s'efforce avant tout de découvrir l'homme derrière l'oeuvre, le petit garçon qui raconte film après film ce qu'il a vécu dans son enfance, l'adulte avec ses joies et ses tourments. Durant ses vingt dernières années, Jutra lui-même invitait les gens à adopter ce paradigme, répétant d'une entrevue à l'autre que tout ce qu'il avait créé puisait dans son enfance, une enfance merveilleuse, insistait-il, mais remplie de zones sombres.
Cette biographie est le récit de la vie d'un homme complexe. C'est aussi une réévaluation critique de l'oeuvre du cinéaste et un fascinant portrait de la venue au monde du cinéma québécois.