Avec Jesus' Son, le temps semble s'être arrêté. Mais les aiguilles continuent de tourner, poussées par les phrases de Denis Johnson. Des mots choisis, soupesés. Et même s'il n'est pas ici question de faire du Nouveau Roman pour drogués, le jeu consiste à faire le plus de ravage possible avec le moins de mots. Une épreuve que Johnson domine parfaitement. Les paradis artificiels qu'il décrit n'ont rien à voir avec la grandiloquence gothique d'un Las Vegas Parano. Jesus' Son serait même l'antidote du périple psychédélique d'Hunter S. Thompson. Un rapide coup d'oeil vers Burroughs serait plus adéquat. Mais là encore, le style de Denis Johnson ne vient jamais vampiriser l'auteur du Festin nu. Dépouillé à souhait, Jesus' Son possède une noirceur effrayante. Noirceur doublée d'une immense vacuité. Vagues faits divers, rencontres cul-de-sac, incidents ultraviolents, errances intemporelles, les onze saynètes de ce petit livre de 1992 sont autant de flashs qui transportent le héros dans des mondes et des sensations plutôt rares dans la littérature américaine de la fin du XXe siècle. La consommation de stupéfiants a toujours été un sujet des plus glissants. Denis Johnson évite tous les clichés. Et son Jesus' Son impose son projet littéraire avant la froideur et la violence de son histoire. C'est au coeur de la chanson "Heroin" qu'il est allé trouver le titre de son ouvrage. Dans ce chef-d'oeuvre du rock sixties, décadent et bruyant, où Lou Reed narrait sans complaisance la descente aux enfers du quotidien du junky.