Madeleine Chapsal - Deux soeurs
Depuis des décennies, la famille savait Emma brouillée avec Sara, sa soeur cadette, qui, au moment des héritages, profitant de la confiance de son aînée, l'avait dépouillée sans scrupules. Pour se justifier d'une telle prévarication, la cadette avait accusé sa soeur de vilenies imaginaires.
Au début, ne pouvant croire que sa petite soeur chérie s'était transformée en monstre de malhonnêteté, Emma, surprise puis choquée, avait tenté de récuser pied à pied ses fausses accusations. Mais rien à faire : à chaque protestation, chaque nouvelle tentative de conciliation de sa part, sa soeur, loin de reculer, assenait un grand coup sur la main tendue...
Les années passant sans changements, Emma ne chercha plus qu'à demeurer en paix. Cessant de proposer un accord qu'elle était seule à souhaiter, elle refusa tout nouveau contact avec Sara, sachant qu'il ne pouvait être que stérile autant que pénible. Or Sara continuait de la harceler par lettres et par mails, lui prodiguant calomnies et injures sans autre mobile que manifester à sa soeur une rancune tenace, amère, quoique inexpliquée.
«Mais que lui ai-je fait ?» s'était demandé Emma que ce déchaînement désolait. Désorientée, malheureuse, elle avait fini par consulter des psys. La plupart s'étaient contentés de lui dire : «Votre soeur ne changera pas, elle est bloquée dans sa haine. À vous de vous transformer pour faire en sorte de la supporter !»
Une psychanalyste de renom, le docteur Germaine Feuillant, s'était montrée tranchante : «Rien, tu ne lui as rien fait, avait-elle conclu après avoir écouté ses dires, parcouru les documents, examiné les tenants et aboutissants du conflit ; c'est ce qu'on appelle la grande jalousie délirante. Elle est originelle, de naissance. Ces gens-là, on ne peut que les fuir, et on le doit...» Une autre fois, elle lui avait même lancé : «Tu n'avais pas besoin de cette soeur-là...» Un sous-entendu qu'Emma ne comprit que plus tard : ces personnes sans foi ni loi peuvent être des criminels en puissance.