Une constatation que je peux vérifier, à mon grand regret, à chaque instant : seuls sont heureux ceux qui ne pensent jamais, autrement dit ceux qui ne pensent que le strict minimum nécessaire pour vivre. La vraie pensée ressemble, elle, à un démon qui trouble les sources de la vie, ou bien à une maladie qui en affecte les racines mêmes. Penser à tout moment, se poser des problèmes capitaux à tout bout de champ et éprouver un doute permanent quant à son destin ; être fatigué de vivre, épuisé par ses pensées et par sa propre existence au-delà de toute limite ; laisser derrière soi une traînée de sang et de fumée comme symbole du drame et de la mort de son être – c’est être malheureux au point que le problème de la pensée vous donne envie de vomir et que la réflexion vous apparaît comme une damnation.
« Marche arrière vers le chaos, retour à la confusion primordiale, au maelström originel! Élançons-nous vers le tourbillon antérieur à l’apparition des formes et à l’individuation! Que nos sens palpitent de cet effort, de cette démence, de cette flambée, de ces gouffres!
Que disparaissent en nous les lois du monde, afin que, dans cette confusion et ce déséquilibre, nous accédions pleinement au vertige total! En deçà des lois et des êtres, nous pourrons remonter du cosmos au chaos… »